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Chroniques
Falstaff
opéra de Giuseppe Verdi
C'est le plus « moderne » des opéras de Verdi. Celui dans lequel il réussit le tour de force de fluidifier les « pics » de virtuosité pour privilégier la brillance d'une ligne continue débarrassée de ses airs de bravoure. En rupture (visuelle) avec cette audace musicale, le décor coulissant d'Alexandre Beliaev impose une présence très monolithique qui contraint l'action à se dérouler dans une frontalité relativement statique. La mise en scène de Dominique Pitoiset s'accommode tant bien que mal de cet espace scénique, obligeant à d'incessantes entrées et sorties latérales. La forêt de Windsor, surtout, y perd de son mystère – réduite à une projection du grand chêne de Herne sur le vaste mur de briques rouges. Les lieux sont mentionnés à la manière des anciennes « réclames », peintes à même le mur en larges lettres. Adieu Shakespeare… on est ici plus près de l'univers londonien vu par Charles Dickens. Les éclairages de Philippe Albaric alternent pénombre dans les deux premiers actes et « nuit américaine » au dernier. La comédie anglaise change en théâtre de boulevard la scène de la corbeille de linge ou le vaudeville du vrai-faux mariage. On accède à l'humour plus par la lettre que par l'esprit, mais qu'importe ? Les situations sont efficaces et la comédie fonctionne à plein régime.
Le plateau est au rendez-vous des espérances placées dans cette unique référence verdienne en ces temps de commémoration. Ambrogio Maestri fait mentir son patronyme et campe un rôle-titre relativement équilibré, davantage primus inter pares que véritable triomphateur. On peut lui rendre hommage de ne pas chercher à tirer la couverture à soi et de réussir par là même à imposer l'évidence manifeste de ses moyens. Capable en un instant de réduire son volume pour faire entendre la délicatesse du phrasé ou, au contraire, dimensionner la projection à la sentimentalité expressive de son Va, vecchio John, Maestri focalise l'intérêt de cette production sans faire craquer aux entournures son costume de bouffon nostalgique.
Artur Ruciński lui oppose un Ford d'une noblesse péremptoire dans la voix qu'on trouverait plus facilement chez Hans Sachs. Pour des raisons pas toujours évidentes, et souvent en décalage avec la logique dramatique, Raúl Giménez (Caius) chante trop fort. Toujours au registre des regrets, Svetla Vassileva passe un moment à stabiliser sa projection et l'effort palpable qu'elle y met perturbe son jeu d'actrice, si peu fourbe. La Mrs Quickly de Marie-Nicole Lemieux emporte la palme de l'abattage comique et du volume vocal. Elle trouve en Gaëlle Arquez une comparse de rouerie et de malice qui font le bonheur de l'auditoire. Paolo Fanale (Fenton) et surtout Elena Tsallagova (Nannetta) forment un couple d'amoureux de grand luxe. On se permettra de placer le soprano russe au premier rang des interprètes de cette soirée. Cette ancienne élève de l'Atelier Lyrique transcende la modestie de son rôle et nous fait déjà regretter son absence lors de la prochaine saison parisienne.
L'orchestre sonne en-deçà des attentes. Daniel Oren étire quand il faut exprimer et raccourcit l'impact rythmique et les spirales ascendantes des scènes de groupe. Face à cette battue tour à tour trop sage ou trop large, les musiciens se contentent d'un entre-deux qui laisse au plateau les clés de ce « trille qui envahit le monde ».
DV